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Lynchage de la famille Baker

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Le lynchage de la famille Baker est un événement raciste violent ayant entraîné la mort de deux afro-américains de la famille de Frazier Baker.

Lavinia Baker et ses cinq enfants ayant survécu après qu'un groupe de Blancs avait mis le feu à leur maison en pleine nuit et tué par balle son mari Frazier Baker et sa petite fille Julia le 22 février 1898. De gauche à droite : Sarah ; Lincoln, Lavinia; Wille ; Cora, Rose

Frazier Baker[modifier | modifier le code]

Frazier Baker était un enseignant afro-américain, nommé à la tête du bureau de poste de Lake City, Caroline du Sud en 1897 sous la présidence de William McKinley. Il était marié à Lavinia Baker et le couple avait six enfants. Il a été assassiné avec sa petite fille de deux ans Julia Baker à son domicile par un groupe aux motivations racistes en 1898. Le 22 février 1898 des hommes blancs ont incendié la maison familiale pour forcer les membres de la famille à sortir. Sa femme et deux de ses enfants ont été blessés mais ont parvenu à s'échapper.

En 1897, Frazier Baker est nommé à la tête du bureau de poste de Lake City, mais des habitants (blancs) s'y étaient opposés et avaient lancé un mouvement visant à obtenir sa démission. N'ayant pas réussi à déloger Baker, un groupe d'habitants a décidé d'attaquer la famille.

Contexte[modifier | modifier le code]

Après l'élection présidentielle de 1896, l'administration républicaine de William McKinley a nommé des centaines de Noirs à des postes de maîtres de poste dans tout le sud des États-Unis pendant le reste de son mandat, dans le cadre d'emplois de clientélisme visant à construire des réseaux locaux[1]. Les Blancs locaux s'opposent à ces nominations surprises, car ils n'apprécient pas que des Noirs soient nommés à des postes par des Républicains, et en particulier par une administration sortante. Ils affirmaient craindre que le pouvoir politique accru des maîtres de poste noirs ne les incite à faire des propositions aux femmes blanches[1].

Frazier B. Baker, un instituteur marié de 40 ans et père de six enfants, est nommé receveur des postes de Lake City, en Caroline du Sud, en 1897. Il se heurte immédiatement à l'opposition farouche des démocrates blancs conservateurs locaux[2] : alors que le comté voisin de Willamsburg compte 63 % de Noirs, Lake City est très majoritairement blanche, avec moins d'une douzaine de résidents noirs[3]. Les Blancs lancent un boycott du bureau de poste de Lake City et font circuler des pétitions appelant à la révocation de Baker[2].

L'une des plaintes portait sur le fait que Baker, membre de la Colored Farmers Alliance, avait réduit la distribution du courrier de trois à une fois par jour après que des menaces de mort eurent été proférées à son encontre[3]. Un inspecteur des postes vient enquêter sur les plaintes et recommande la fermeture du bureau de poste. En réponse, une foule blanche l'incendie dans l'espoir que personne ne louera de locaux pour l'utiliser comme bureau de poste tant que Baker restera maître de poste[3]. Le gouvernement obtient un local à la périphérie de la ville, mais une diminution des tensions raciales conduit Baker à faire venir sa famille en février 1898[3].

Des menaces de mort sont proférées à l'encontre de Baker, les Blancs restant hostiles à sa présence. Baker fait part de ces menaces à ses supérieurs à Washington.

Lynchage[modifier | modifier le code]

Victimes[3],[4]
Nom Âge Sexe Blessures
Frazier Baker 42 M Tué par balle
Lavinia Baker 37[5] F Blessée au niveau du bras par balle.
Rosa Baker 18 F Bras cassé par balle
Cora Baker 14 F Blessée par balle sur la main droite
Lincoln Baker 11 M Balle dans l'abdomen et bras cassé
Sarah Baker 7 F Saine et sauve
Millie Baker 5 F Saine et sauve
Julia Baker 1 F Tuée par balle

À une heure du matin le 21 février 1898, la famille Baker est réveillée par l'incendie de leur propre maison (qui servait également de bureau de poste)[3]. Frazier Baker tente d'éteindre le feu sans succès et envoie son fils, Lincoln, chercher de l'aide. À peine son fils a t-il ouvert la porte qu'il est visé par des coups de feu. Frazier le tire vers l'intérieur de la maison, maudit la foule et se met à prier. Alors que la chaleur s'intensifie, Baker se tourne vers sa femme, Lavinia, et lui dit qu'il "valait mieux mourir en courant pour tenter de sauver leur vies plutôt que de rester immobile", et se dirige alors vers la porte. Avant qu'il ne puisse ouvrir la porte, une balle atteint sa fille de deux ans, Julia, que Lavinia tenait, et la tue sur le coup. Lorsque Baker prend conscience de la mort de sa fille, il ouvre la porte et est abattu sous une pluie de coups de feu.

Blessée par la même balle qui avait tué sa fille, Lavinia rassemble sa famille pour sortir de la maison en feu. La famille traverse la route en courant pour se cacher sous des arbustes dans un champ adjacent[6]. Après avoir attendu que les flammes et les coups de feu se calment, Lavinia s'est dirigée vers la maison d'un voisin, où elle a trouvé une de ses filles qui attendait. Ils ont ensuite été rejoints par l'aînée, Rosa. Rosa avait reçu une balle dans le bras droit et s'était enfuie de la maison alors qu'un homme blanc armé non identifié la poursuivait[7]. Seules Sarah (7 ans) et Millie (5 ans) s'en sont sorties indemnes. Les survivants sont restés à Lake City pendant trois jours mais n'ont reçu aucun traitement médical.

Conséquences[modifier | modifier le code]

« The Mob at the Lake City Post Office--An Artist's Portrayal », reproduit du Boston Post, 10 août 1899.

Réactions[modifier | modifier le code]

Le lynchage a été largement condamné, y compris dans tout le Sud. Le lynchage est défendu par ceux qui sont d'accord avec le sénateur de Caroline du Sud Benjamin Tillman, qui déclare que les "fiers habitants" de Lake City refusent de recevoir "leur courrier d'un nègre"[3].

La journaliste Ida B. Wells-Barnett dénonce le lynchage et note que les lyncheurs n'ont même pas prétendu que Baker avait commis un crime, comme le font souvent les foules[8]. Lors d'une manifestation de masse à Chicago, elle se moque des lyncheurs comme étant des Sudistes "dont la fierté est d'être chevaleresques envers les femmes"[9]. Pour présenter les résolutions adoptées lors de cette réunion, elle rencontre le président McKinley, arguant que le meurtre de Baker "est une affaire fédérale, pure et simple. Il est mort à son poste de travail pour défendre l'honneur de son pays, aussi sincèrement qu'un soldat sur le champ de bataille"[10]. McKinley l'assure qu'une enquête est en cours. Lors de son séjour à Washington, Wells-Barnett exhorte également le Congrès à apporter son soutien aux survivants. Les législateurs ne parvinrent pas à surmonter l'opposition des démocrates et de la quasi-totalité du bloc sudiste pour autoriser une telle aide[9].

Le lynchage des Baker reçue une large couverture médiatique. En Caroline du Sud, les journaux blancs ont condamné le meurtre comme "ignoble" et "révoltant"[3]. Le Williamsburg County Record a qualifié le lynchage de "tache la plus sombre de l'histoire de la Caroline du Sud". Il a déclaré que l'administration McKinley était également à blâmer pour "avoir poussé des hommes de main noirs vénaux dans des bureaux de confiance du Sud"[9].

Enquête et procès[modifier | modifier le code]

Un grand jury a été convoqué dans le comté de Williamsburg, mais n'a rendu aucun acte d'accusation. L'administration McKinley a mené une enquête approfondie sur le meurtre, offrant initialement une récompense de 1 500 $ (48 858 $ aujourd'hui) pour l'arrestation et la condamnation des coupables[3]. Malgré la réticence des habitants à témoigner, le 1er juillet 1898, les procureurs ont inculpé 7 hommes pour le meurtre de Baker. En fin de compte, treize hommes ont été inculpés devant la Cour d'appel des États-Unis pour meurtre, complot en vue de commettre un meurtre et destruction de courrier le 7 avril 1899, après que deux hommes, Joseph P. Newham et Early P. Lee, ont témoigné pour obtenir en échange leur immunité[3],[11].

Le procès a eu lieu devant un tribunal fédéral du 10 au 22 avril 1899 et la liste des accusés était la suivante[12] :

  • Alonza Rogers
  • Charles D. Joyner
  • Edwin Rogers
  • Ezra McKnight
  • Henry Godwin
  • Henry Stokes
  • Marion Clark
  • Martin Ward
  • Moultrie Epps
  • Oscar Kelly
  • W. A. Webster

Le jury était composé d'hommes d'affaires, tous blancs, venant de différentes régions de l'état[3]. Newham, le témoin vedette de l'accusation, a reconnu avoir allumé l'incendie et a identifié huit des accusés comme ayant participé aux meurtres. Il n'a exprimé aucun remords pour la mort de Baker et de sa fille. Un autre témoin, MB Springs, a identifié Henry Stokes comme le meneur ; Springs a été ostracisé à Lake City et a finalement été placé sous protection policière. Henderson Williams, un témoin afro-américain, a déclaré avoir vu des hommes blancs armés au bureau de poste la nuit du lynchage. Il a été menacé et s'est enfui à Florence après qu'un partenaire commercial blanc ait menacé de " [lui] faire comme ils ont fait à Baker"[3].

Le jury a délibéré pendant environ 24 heures avant de déclarer un procès nul ; le jury était dans l'impasse pour parvenir à un verdict, cinq contre cinq[13]. L'affaire n'a jamais été rejugée.

À la suite de l'annulation du procès, les Blancs de Lake City ont demandé la réouverture du bureau de poste et le rétablissement du service postal. De nombreux Afro-Américains ont qualifié cela d'hypocrite[3].

Lavinia Baker soignée par le Dr Alonzo McClennan au Charleston Colored Hospital.

Le 2 mai 1898, une déclaration condamnant l'attaque a été prononcée lors d'une réunion massive qui eut lieu à l'église Emmanuel épiscopale méthodiste africaine (AME) à Charleston, en Caroline du Sud. La congrégation a recueilli 16 $ (460,61 $ aujourd'hui) pour la famille Baker[14].

Lavinia Baker et ses cinq enfants survivants sont restés à Charleston pendant plusieurs mois après le verdict. Lillian Clayton Jewett, un membre de la congrégation, a rencontré le Dr Alonzo C. McClennan, le médecin de Charleston à la tête d'un collectif chargé de veiller sur la famille Baker, et a ensuite organisé une réunion avec Lavinia. Lavinia a accepté de se rendre à Boston avec ses enfants accompagnée par Jewett et le Dr Lucy Hughes Brown, une collègue du Dr McClennan[15].

La famille Baker est restée à Boston dans la maison achetée grâce à la collecte de fonds menée par William Lloyd Garrison, Jr.. mais hors de la vie publique. Les enfants Baker survivants ont été victimes d'une épidémie de tuberculose, et quatre enfants (William; Sara ; Lincoln, Cora} en moururent entre 1908 et 1920[16],[17],[18],[19]. Le dernier enfant encore en vie de Lavinia, Rosa Baker[20], est morte en 1942[21]. Ayant perdu tous ses enfants, Lavinia Baker est retournée dans le comté de Florence, où elle a vécu jusqu'à sa mort en 1947 à Cartersville, Caroline du Sud[22].

Lake City[modifier | modifier le code]

En 1918, l'église St. James AME fut construite sur le site du bureau de poste et de la maison incendiés de la famille Baker. Le 5 octobre 1955, l'église est incendiée[23]. Les habitants suspectent des suprémacistes blancs, en colère contre l'activisme du ministre Joseph DeLaine pendant le mouvement des droits civiques au nom de la NAACP, d'être responsables de l'incendie criminel. Les racistes avaient averti DeLaine qu'il vivait « là où le maître de poste noir avait été abattu il y a de nombreuses années[24] ».

En 2003, l'Assemblée générale de l'État a adopté une résolution en faveur de l'installation d'un mémorial en Caroline du Sud sur le lynchage et l'incendie de la maison[24][25]. Ce mémorial a été dévoilé en octobre 2013 sur South Church Street, l'emplacement précédent du bureau de poste et de la maison de Baker[26].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Joel Williamson, The Crucible of Race : Black-White Relations in the American South since Emancipation, New York, Oxford University Press, (ISBN 9780198020493, lire en ligne Inscription nécessaire), 190
  2. a et b Dray 2007, p. 116.
  3. a b c d e f g h i j k l et m Terence Finnegan, A Deed So Accursed: Lynching in Mississippi and South Carolina, 1881–1940, Charlottesville, University of Virginia Press, coll. « American South series. », , 50–55 (ISBN 978-0-8139-3385-6, lire en ligne Inscription nécessaire)
  4. George B. Tindall, South Carolina Negroes: 1877 - 1900, Univ of South Carolina Press, coll. « Southern Classics », , 255–256 p. (ISBN 978-1-57003-494-7, lire en ligne)
  5. 1900 US Census Lavania Baker, widow age listed as 39
  6. Fordham 2008, p. 70.
  7. Fordham 2008, p. 72.
  8. Paula J. Giddings, Ida: A Sword Among Lions, New York, HarperCollins, , 386–387 p. (ISBN 978-0-06-079736-2, lire en ligne)
  9. a b et c David C. Carter « 'No Painted Apache Ever Did Anything Half So Wanton, or Cannibal in Darkest Africa Ever Acted Upon a More Fiendish Impulse': Newspaper Reactions to the 1898 Lynching of Postmaster Frazier Baker in Lake City, South Carolina on the Eve of the Spanish American War » () (lire en ligne, consulté le )
    Media & Civil Rights History Symposium
  10. Dray 2009, p. 312.2.
  11. « THE LAKE CITY LYNCHING.; Thirteen Men Indicted in a Federal Court for the Alleged Murder of the Negro Postmaster. », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  12. Fordham 2008, p. 69.
  13. Fordham 2008, p. 73.
  14. Fordham 2008, p. 67.
  15. William Lloyd, Jr. Garrison, « TO AID THE BAKER FAMILY. », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  16. Death Record of William Baker 1908
  17. Death Record of Sarah Baker 1909
  18. Death Record of Lincoln Baker 1916
  19. Death Record of Cora Baker 1920
  20. 1900 Census record of Rosa Baker
  21. « Lake City Lynching » [archive du ] (consulté le )
  22. Roger Kent Hux, « Lillian Clayton Jewett and the Rescue of the Baker Family, 1899-1900 », Historical Journal of Massachusetts, vol. 19, no 1,‎ , p. 13–23 (lire en ligne, consulté le )
  23. « State and County Officers Investigating Church Fire », Florence Morning News (Florence, South Carolina),‎ , p. 22 (lire en ligne)
  24. a et b Fordham 2008, p. 74.
  25. South Carolina Department of Archives and History, « Florence County » [Database], sur South Carolina Historical Marker Program, (consulté le )
  26. Tonya Brown, « Lake City honors postmaster lynched 115 years ago », CarolinaLive,‎ (lire en ligne, consulté le )

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]